Voyage au centre de l’entrepreneuriat

Le 8 juillet dernier, HDFID a organisé la deuxième édition du Garage de l’Entrepreneuriat. Cette journée destinée aux professionnels de l’entrepreneuriat classique et innovant en Hauts-de-France s’est déroulée dans un lieu d’exception : le Cirque Jules Verne d’Amiens.

Récit d’une journée à 20 000 lieues sous le signe de la prise de risque !

Telle Nelly Bly, journaliste du XIXème siècle, pionnière du reportage clandestin et du « gonzo journalism », nous nous sommes introduits David Fogg et moi-même dans le Cirque Jules Verne d’Amiens le 7 juillet dernier. Nous avions ouïe dire qu’il s’y passerait une journée un peu spéciale dédiée au rapport à la prise de risque et appelée « Garage de l’entrepreneuriat ».

Lorsque nous entrâmes dans les lieux, une tension était palpable. Dans les gradins, la chaleur faisait luire les fronts des bonnes gens issus du monde économique des Hauts-de-France. Le regard fébrile, ils observaient les circassiens s’entrainer à diverses prouesses acrobatiques et semblaient redouter qu’on leur demandât d’en faire autant !

David Fogg, le haut de forme trônant fièrement sur ses cheveux hirsutes, se plaignait d’avoir chaud quand je sentis les premières gouttes parcourir mon dos, cette veste de Monsieur Loyal me fondait certes dans le décor mais, bizarrement, m’apportait aussi le trac du Maître de cérémonie.

Soudain les lumières s’allumèrent et la musique retentit dans les gradins tandis que David me poussait sur la piste. Comment n’avais-je pas prévu qu’accoutrée de la sorte, je ne finisse sur le devant de la scène ?

Ensemble nous accueillîmes le public, complémentaires et inspirés, le discours fut fluide et bientôt nous annonçâmes avec ferveur aux invités qu’ils passeraient une journée de haute voltige. Persuadés d’avoir réussi notre entrée, nous sentions cependant la réaction discrète et suspendue de l’auditoire. Craignaient-ils de savoir à quelle sauce ils allaient être mangés ?

Où une trapéziste se relève après sa chute 

De retour derrière le banc, je vis la grande artiste prendre place sur la piste avec son lutrin. Pas au centre, mais presque, juste comme il fallait pour faire corps avec l’écran qui contera avec elle son histoire.

Sandy Sun est trapéziste, médaillée d’Or au Festival Mondial du Cirque de Demain et formatrice dans les écoles supérieures professionnelles de cirque. Dans la lumière, accompagnée de ses photos, elle raconta ses débuts, son travail… acharné, corps d’acier, force d’acier forgée. Vint l’ascension.

Ses mots voltigeaient dans le silence du Cirque jusqu’à la chute, soudaine, brutale, vitale ? Le public frissonnait, le regard accroché à l’image de Sandy, sur le sol de la piste, entourée de son équipe.

« C’était risqué car j’avais plus d’ambition pour mon art que pour moi-même » dira-t-elle ensuite.

Puis vint le récit de la reconstruction, de la renaissance. Persuadée de s’en sortir, elle s’entrainerait seule chez elle sans relâche et inventerait une nouvelle esthétique à ses numéros de trapèze, telle une danse dans les airs du chapiteau. Jusqu’à ce que vienne l’heure de transmettre pour continuer, toujours, à honorer son art autant qu’elle-même.

Je sortais de ce récit sonné tout autant que marquée par la force de travail et la détermination de cette femme qui répondit à l’interrogation d’un spectateur sur le rapport à l’échec dans notre culture en expliquant que, petite, elle ne s’occupait pas de ce que pouvaient dire les gens sur ses échecs.

Les applaudissements vinrent progressivement, chaleureux et intenses, autant que l’émotion perceptible dans l’assemblée.

Dans lequel un médecin décortique le cirque

Perché en haut des gradins, occupé à diffuser les images de la trapéziste, un homme ne tarda pas à descendre jusqu’à la piste et à prendre son relai. Philippe Goudard semblait avoir eu plusieurs vies tant son profil était riche. Artiste circassien, il est professeur émérite des universités, docteur en médecine et en arts du spectacle. Le cirque n’avait pas de secret pour lui.

Philippe nous montra l’universalité du cirque et son lien étroit avec l’histoire humaine ; nous expliquant comment nous passâmes d’une pratique d’abord liée à la survie, aux rituels de passages de l’espèce humaine à une pratique progressivement démonstrative, de spectacle et de performances artistiques.

Son discours égrenait le lien entre les arts circassiens et l’aventure entrepreneuriale. Dans ce déséquilibre où l’on recherche l’inconfort et la complexité pour en faire émerger de nouvelles figures, de l’innovation. Dans cette prise de risque qui met l’artiste dans certaines formes de précarités financières ou d’insécurité vitale. Dans ce questionnement de se lancer seul ou d’embarquer une équipe avec soi, de ce que cela peut générer comme risques dans l’un ou l’autre des cas. De cette nécessité, comme dans un cycle, de ne pas faire qu’anticiper mais aussi d’agir, porté non seulement par le sens et la passion mais aussi par une intention et une direction claire.

J’entendais de là où j’étais les murmures des spectateurs. Jetant un coup d’œil aux gradins, j’observais ces femmes et ces hommes concentrés tout autant qu’interpellés par la démonstration de Philippe. Chacun devait en être rendu à faire ses propres connexions mentales, ses propres raisonnements.

Où les mots soignent les maux

David me fit signe qu’il était temps pour moi d’annoncer la suite. J’avais eu le temps le matin d’identifier qui, parmi les associations 60 000 Rebonds (qui accompagne les entrepreneurs ayant perdu leur entreprise) et Second Souffle (qui accompagne les entrepreneurs en rebond, en post-liquidation ou en post-cessation d’activité), prendrait la parole. Aussi invitais-je respectivement François-Xavier de Cottignies, Philippe Lemeur et leur témoin à prendre place sur la piste afin de poursuivre le parallèle avec le monde entrepreneurial.

Après les présentations d’usage, Josiane Gruson prit rapidement la parole. Accompagnatrice chez Second Souffle elle fut d’abord elle-même accompagnée et depuis, elle n’eut de cesse de jouer au hérault pour briser le tabou de la liquidation judiciaire ; comme si elle se donnait pour mission de faire changer la mentalité française en mettant des mots sur ce qui reste trop souvent et à tort une honte ! Selon elle, en France, un entrepreneur qui crée ne sait pas assez qu’il peut avoir des difficultés. Cela me fit penser à ce dicton « Un homme averti en vaut deux ».

Il me sembla qu’Anthony Chastas partagea ce point de vue. Accompagné par 60 000 Rebonds, Anthony a soigné la perte de son entreprise comme un deuil, une douleur qui l’eut un temps muré dans le mutisme. Il prit conscience que, plus tôt l’entrepreneur parle de ses difficultés, plus les chances de sauver l’entreprise sont grandes. Rompre la solitude et se donner du temps permet de prévenir l’échec, de mieux préparer l’entrepreneur au défi de taille qui l’attends. Nous le sentîmes bousculé par ce témoignage sur sa propre histoire qu’il faisait pour la 1ère fois. Cherchant ses mots, il nous partagea l’importance à ses yeux de se former avant de se lancer dans l’entrepreneuriat et notamment, de se former soi et sa propre famille pour renforcer sa posture face au risque.

François-Xavier de Cottignies et Philippe Lemeur conclurent sur une note sportive : entreprendre est un sport de haut niveau, cela demande de la préparation et de l’entrainement là où le parcours pourrait compter encore plus que la finalité. Il y aurait un juste milieu à trouver entre anticiper et agir, car la peur n’évite pas le danger.

François-Xavier termina sur cette phrase, forte, remettant l’humain au cœur du sujet : « Entrepreneurs, montrez vos cicatrices ». Cela aurait selon lui la double vertu de simplifier les relations et d’être entouré dans la difficulté.

Il était 12h45 quand nous terminâmes les échanges. Annalisa et Théo me signalèrent que le déjeuner était prêt, je remerciais donc l’ensemble de l’auditoire pour l’accueil chaleureux qu’ils réservèrent aux intervenants et la concentration religieuse avec laquelle ils les écoutèrent et j’enjoignis les invités de l’après-midi à nous retrouver à l’entrée des artistes pour une collation bien méritée.

Dans lequel le risque fait son tour de piste

A partir de là, je pensais être libérée et pouvoir profiter du reste de la journée ! Pauvre de moi, je ne fus pas au bout de mes peines ! Un maitre de cérémonie se doit de montrer l’exemple jusqu’au bout et sans répit. Je me retrouvais dès le début d’après-midi au cœur d’un échauffement circassien. Je vis autour de moi des visages aux sourires un peu crispés et j’entendis derrière mon dos David Fogg m’intimer de montrer l’exemple, je m’exécuta.

J’en conviens, l’ambiance s’assouplit très vite. Il est impressionnant de voir combien une gêne commune crée des liens à grande vitesse. Nous sentions l’indulgence et le lâcher prise prendre le dessus, bientôt la bonne humeur fut maitresse en la demeure.

Nous nous répartîmes dans différents ateliers d’initiation. Objectif ? Nous confronter à notre propre rapport au risque et à l’échec. Une femme prénommée Emilie Marcelet témoigna du lien qu’elle fit entre l’équilibre que demande la traversée du fil d’Ariane et celui nécessaire dans l’entrepreneuriat. Elle expliqua comment l’exercice servit à contrôler l’équilibre, que ce soit l’idée de le retrouver en respirant et retrouvant son calme à chaque déséquilibre ou l’idée de le garder grâce à l’aide et à la confiance d’accompagnateurs.

Tandis que je tentais laborieusement une roulade arrière acrobatique, certains jongleurs n’étaient pas dans leurs assiettes alors que les apprenties trapézistes se tordaient en des figures toutes de grâce vêtues et que d’autres équilibristes avançaient à pas feutrés sur le fil d’acier. L’expérience se déroulait avec beaucoup d’application et de sourires aux lèvres. Fut-ce-t-il possible que la prise de risque soit source de plaisir ?

Nous nous aventurâmes à questionner cela au regard des neurosciences grâce à un scientophile invité pour l’occasion à débriefer avec nous, artistes circassiens en herbe. Antoine Deswarte rappela que la perception du risque n’est qu’une perception. Elle induit dans notre cerveau une équation bénéfice-sacrifice dont la perception est propre à chacun et pas forcément rationnelle. C’est pourquoi le cerveau a besoin d’entrainement et d’énergie pour se préparer à prendre des décisions qui nous mettent face à un risque potentiel. En cela pourrions-nous voir l’échec, non comme une faute mais comme une erreur source d’apprentissages…

Perdue dans mes pensées, nourrie par la richesse des témoignages et des échanges de la journée, je fus ramenée à la réalité par une musique pimpante et entrainante, j’ai bien cru que nous allions élire Mister Jules Verne !!! Il n’en fut rien mais j’eu tout de même à remettre des Molettes d’or aux valeureux partenaires ayant fait preuve d’engagement et d’assiduité à alimenter un extranet, des formations ou de la valorisation d’entrepreneurs. Décidément, je n’aurais pas encore tout compris des us et coutumes de ces gens !

Mais soit, qu’il en soit ainsi… le moment tant attendu arriva, je fus emmenée par la foule à l’arrière-piste… il y aurait un cocktail à venir ! A voir les sourires et les commentaires, chacun avait passé un super moment. Sans surprise, je retrouvais David Fogg prêt à trinquer… Dans nos yeux pétillait l’ivresse d’avoir passée ensemble et avec tous les partenaires qui soutiennent l’entrepreneuriat dans les Hauts-de-France une journée inoubliable dans ce lieu magique qu’est le Cirque Jules Verne.

Écrit par Laurine PASSEPARTOUT

alias Laurine HERREMAN, référant Entrepreneuriat et Facilitations 

Quelques photos de la journée…

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